Comme chacun le sait, faire un film revient à prendre une succession de photos, les faire défiler à une certaine allume et jouer du son par dessus. Il convient donc de faire en sorte de prendre de belles photos.
La photographie au cinéma est un métier à part entière, et un des plus importants. Le Directeur de la Photographie ou Chef Opérateur (DOP en anglais) est ainsi le chef d'orchestre de la prise de vue, là où le réalisateur est principalement un metteur en scène et celui qui a une vision d'ensemble de l’œuvre.
Le directeur de la photographie fonctionne donc en duo très étroit avec le réalisateur : Définir l'aspect esthétique : avant toute chose, alors même que le film est encore dans les cartons, le directeur photo et le réalisateur vont discuter de l'esthétisme voulu pour tout le film ou certaines séquences : certains réalisateurs ont ainsi un style esthétique bien à eux que l'on reconnaîtra au premier coup d’œil.
Afin de mettre en œuvre correctement la volonté du réalisateur, le directeur photo procède alors à tout un tas d'essais et de choix :
Les dispositifs d'éclairage (fausse lumière, intérieur, extérieur, néons, lumière naturelle etc...)
Les caméras utilisées
Les objectifs utilisés
Il monte une équipe de techniciens
Il choisit le support du film (numérique, pellicule)
Choix des pellicules, la technique de développement de pellicules, le support numérique
Le format (16:9, carré, cinémascope...)
La gamme de couleurs (noir et blanc, tons chauds, tons froids...)
Développer des technologies si elles n'existent pas (par exemple des caméras capables de filmer directement en 3D pour Avatar quand la majorité des films font une conversion en post-production)
On pourra alors citer certains exemples parlants :
The Revenant (Alejandro González Iñárritu, 2015) Le réalisateur voulait apporter beaucoup de réalisme à son récit. Pour cela ils ont opté pour différentes stratégies : des plans séquences pour un visuel et une narration immersive, des objectifs grand-angles qui permettent d'offrir une vision vaste et nette du paysage environnant, un éclairage quasiment exclusivement en lumière naturelle ce qui obligeait de tourner à des heures précises et laissait peut de place à l'erreur, un étalonnage favorisant les couleurs froides du grand nord.
The Matrix Trilogie (the Wachovski, 1999-2003) Afin de rendre les séquences se déroulant dans la matrice plus irréels encore, les réalisateurs(trices) ont souvent opté pour une désaturation des images (couleurs fades) reflétant l'aspect irréel de l'univers, un étalonnage tirant sur le vert (couleur caractéristique de l'univers numérique), des mouvements de caméra peu conventionnels et des objectifs grand angle afin de pouvoir appréhender les scènes d'action dans leur ensemble ou créer, comme ici, des effets de profondeur percutants.
Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2001) Trait caractéristique du réalisateur : la majorité des ses films mettent en avant des couleurs chaudes, avec un étalonnage tirant parfois franchement sur le jaune. Cela est souvent le cas afin de donner une patine au film ou un aspect fantastique et psychologique. Là aussi un usage du grand angle qui déforme parfois l'image, surtout en gros plans et une légère baisse de contraste de l'image afin de gommer les limites des formes et homogénéiser l'image.
The Grand Budapest Hotel (Wes Aderson, 2014)
Wes Anderson est très reconnaissable visuellement pour diverses choses : son amour des couleurs très vives, l'utilisation d'une gamme de couleur limitée par plan, de très forts contrastes et des couleurs saturées, des lumières uniformes et homogènes, l'action est souvent centrée et les plans font preuve à la fois de beaucoup de symétrie et de peu de profondeur. Tous ces aspects extrêmement maîtrisés laissent au directeur photo à la fois un cadre stricte mais avec beaucoup de créativité.
The Artist (Michel Hazanavicius, 2011) Afin de recréer l'aspect des films des années 20, le ratio est réduit à un format académique proche du 4:3 (format 1,37:1), et pensé pour être projeté en noir et blanc. Cela inclut donc des éclairages très durs et directionnels afin d'augmenter les contrastes et faire ressortir les personnages. tout comme à l'époque les acteurs sont souvent éclairés de face et des ombres sont artificiellement accentuées. De plus, sur le plateau, les couleurs sont utilisées, non par par soucis esthétique mais par souvent technique afin d'augmenter les contrastes une fois passé en noir et blanc.
Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2017)
Récompensé aux Oscars pour son travail de photographie, le film fait en effet montre d'une très grande minutie. Éclairage néons, inclusion pointue d'hologrammes, atmosphère étouffante, tons monochromes, forte saturation à des moments, désaturation à d'autres, grande maîtrise des ombres et lumières ainsi que des formes et géométries couplées à de forts contrastes (comme ci-contre).
Durant le tournage, le directeur photo travaille la lumière mais gère aussi toute une équipe :
L'équipe "electro" est en charge de la mise en place des éclairages et leur gestion durant les prises
L'équipe "caméra" est en charge du choix des objectifs et de la prise de vue en elle-même
L'équipe "machinerie" est en charge de placer les caméras, les monter sur des dispositifs (rails de traveling, grues, voitures etc...) ainsi que de gérer les mouvements de ces dispositifs.
Certains films ont été imaginatifs ou avec des contraintes particulières durant le tournage :
1917 (Sam Mendes, 2020) Le film donne l'illusion d'un plan séquence unique. Il a en réalité été tourné sur plusieurs jours et en plusieurs plans séquences habillement montés. Les plans en extérieur sont tous en lumière naturelle. Afin d’obtenir un éclairage uniforme et facile à maîtriser, ainsi que pouvoir raccorder les différentes prises sans faux-raccords d'éclairage ou d'ombre, le tournage ne se déroulait que lorsqu'il y avait des nuages. Pour la scène de nuit, afin de recréer l'illusion que des fusées éclairantes sont lancées régulièrement dans les airs, une immense arche a été construite au-dessus du village sur laquelle l'éclairage a été placé. Cela donne l'illusion d'une trajectoire en cloche. De même, pour faire croire que l'église était bel et bien en flamme, de très puissantes lampes ont été disposées. Le tout a été filmé de nuit.
First Man (Damien Chazelle, 2018) Les plans sur la lune ne sont pas des images de synthèse. Il s'agit d'un immense plateau sur fond noir dans lequel a été recréé l'environnement lunaire (on voit sur l'image les câbles permettant les bons de micropesanteur des comédiens). L'éclairage du soleil, beaucoup plus puissant, cru, blanc et directionnel sur la lune que sur Terre a été permis grâce à la collaboration d'une entreprise afin de concevoir des lampes d'une puissance suffisance. De telle lampes n'existaient pas auparavant. Le résultat est surprenant de réalisme.
Le travail du directeur photo se poursuit en post-production : Si le film est tourné sur pellicule, c'est également lui qui supervise leur développement. En effet c'est durant cette étape que les contrastes, les noirs, les blancs et les couleurs sont réglés ou modifiés. Si le film est sur support numérique, le directeur photo est également responsable de leur traitement numérique (type de stockage, archivage des rushs, visionnage des plans tournés dans la journée etc...). Viennent ensuite, quelque soit les supports, un traitement numérique durant le montage : l'étalonnage. L’étalonnage est l'étape durant laquelle l’aspect final du film est travaillé en modifiant tout un tas de paramètres (constates, balance des couleurs, saturation, assombrir des zones, en éclairer d'autres etc...). C'est ainsi que l'esthétisme du film est uniformisé sur toute la durée du métrage. (Un exemple avec "Apocalypse Now", ci-dessous, de réglages de base opérés durant l'étalonnage.)
Trois films ont été projetés sur ce thème par Super 8 en Novembre 2019 et Mars 2020 :
Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1979), ayant été récompensé par l'Oscar de la meilleure photographie, racontant l'histoire du jeune capitaine Willard, mal rasé et imbibé d'alcool, qui est convoqué par le général Corman. Celui-ci lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz, un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne.
The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson (2014) ayant été récompensé par l'Oscar de la meilleure photographie, qui raconte les aventures de Gustave H, le maître d'hôtel du Grand Budapest et du garçon d’étage Zéro Moustafa, son allié le plus fidèle. Ils partent à la recherche d’un tableau volé et sont pris au milieu d'un conflit autour d’un important héritage familial.
Les Mémoires d'une Geisha de Rob Marshall (2006) ayant été récompensé par l'Oscar de la meilleure photographie, raconte l'histoire d'une jeune fille vendue par son père pour devenir une Geisha. Prise au sein de conflits de pouvoir, elle devient une des Geishas les plus célèbre de son temps. Mais la seconde guerre mondiale vient troubler ses aspirations et son désir le plus profond : l'amour d'un homme inatteignable.
photo de couverture : Blade Runner 2049
Nicolas Gentis
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